Chapitre 3

 

Le médecin de service voulut qu’Andy reste au moins une nuit de plus à l’hôpital en observation. Mes parents étaient déçus mais loin d’eux la pensée de discuter l’avis du médecin. Pas quand ce médecin se trouvait être un membre de la Société de l’esprit qu’ils respectaient.

Je les laissai pour qu’ils puissent faire de nouveau connaissance avec leur fils. Je comptais appeler Andy quand il serait sorti de l’hôpital et que mes parents seraient hors de vue. Alors lui et moi pourrions parler un peu plus.

L’heure du dîner approchait quand je sortis de l’ascenseur dans le hall de l’hôpital. Mon estomac protestait d’avoir été privé de déjeuner. Je considérais les options qui se présentaient à moi pour le dîner sans qu’aucune d’elles me semble très attrayante.

Toutes pensées de nourriture disparurent de mon esprit quand j’aperçus Adam devant le guichet de la réception.

La beauté était une qualité requise pour être l’hôte d’un démon et Adam ne faisait pas exception à la règle. Il était un peu moins grand que Dominic, bien que sa démarche assurée le fasse toujours passer pour l’homme le plus grand où qu’il se trouve. Si Dominic était grand, sombre et beau, Adam était grand, sombre et dangereux. Et même si je ne l’appréciais pas du tout, on ne pouvait pas dire que sa vue me dérangeait. Maintenant, si j’avais été capable de monter un mur de barreaux entre nous et de lui fermer la bouche au ruban adhésif, j’aurais presque été heureuse de le voir.

Étant donné la situation, le rencontrer ne faisait qu’aggraver ma journée. Je pris une mine renfrognée quand il me sourit et vint me rejoindre à mi-chemin de la sortie. J’étais parvenue à l’éviter depuis la nuit où il avait tiré sur mon frère, mais apparemment ma veine n’avait plus cours.

— Qu’est-ce que tu fiches ici ? grognai-je, ma main fourmillant d’envie de se saisir de mon Taser. J’espère que tu ne me suis pas !

Il m’adressa un regard feignant l’innocence.

— Qui ? Moi ?

Devant mon expression de fureur, Adam cessa la comédie et secoua la tête.

— En fait, que nous nous rencontrions ici n’est qu’une heureuse coïncidence.

Je ricanai en me dirigeant vers la porte, pas du tout surprise qu’il m’emboîte le pas.

— J’ai appris la nouvelle au sujet de ton frère, dit-il. Je suis content qu’il aille mieux.

— Ce n’est pas grâce à toi, marmonnai-je en regrettant de ne pas avoir gardé cette pensée pour moi.

Ce n’était pas une discussion que j’étais pressée d’avoir avec Adam. Je consultai ma montre.

— Ça fait moins d’une heure qu’il s’est réveillé. Tu dois avoir un sacrément bon informateur.

Ce qui signifiait qu’Adam avait demandé à quelqu’un de garder un œil sur Andy. Si mon frère avait fait capoter notre histoire, Adam se serait retrouvé dans la pire des situations.

Il haussa les épaules avec bienveillance.

— C’était dans notre intérêt à tous de savoir si et quand il allait se réveiller. Je ne pouvais compter sur le fait que tu te trouverais à point nommé près de lui quand cela arriverait.

Il me tint la porte à la manière d’un gentleman et je ne pris pas la peine de protester. Je sortis sur le trottoir juste au moment où un bus s’éloignait de l’arrêt dans un nuage de fumées d’échappement, me rappelant pourquoi j’avais toujours préféré vivre en banlieue.

Avant que j’aie eu la chance de commencer à me diriger vers mon appartement, Adam me prit par le bras et me tira dans la direction opposée. Naturellement, je tentai de me libérer de son emprise, mais il ne me lâcha pas.

— Qu’est-ce que tu fais ?

— Il est temps que nous ayons une petite discussion, tous les deux, dit-il en me serrant toujours le bras.

Là, je décidai de sortir mon Taser bien que mon mouvement soit gêné par la poigne d’Adam. Comprenant ce que j’envisageais de faire, il roula des yeux.

— N’agresse pas un officier de police, chérie. Tu pourrais avoir des ennuis.

C’est vrai, n’empêche que j’étais tentée.

— Lâche mon bras.

Ce qu’il fit, à ma grande surprise.

— Ça va mieux ? demanda-t-il en se tournant pour m’affronter.

C’était toujours l’heure de pointe et les piétons n’appréciaient pas vraiment que nous soyons arrêtés au milieu. Ils nous contournaient mais j’étais consciente des regards mauvais lancés dans notre direction.

Sans lui répondre, je lui emboîtai le pas.

— Alors où allons-nous ?

— Que penses-tu de ma voiture ? Je crois que Dom m’a dit qu’il préparait un poulet cacciatore ce soir. Je suis sûr qu’il y en a assez pour trois.

Je maudis mon traître d’estomac qui se mit à grogner. Je savais d’expérience que Dominic était un excellent cuisinier et je ne pus m’empêcher d’être tentée. Jusqu’à ce que je pense à la perspective de passer la soirée avec Adam et Dom. Je n’ai aucun problème avec les homos : j’ai pas mal de préjugés, mais celui-ci n’en fait pas partie. Non, ce qui me pose problème, ce sont les marques d’affection publiques et je suis prête à parier qu’Adam prend un malin plaisir à me mettre mal à l’aise. Dom est un peu plus discret, mais pas au point de refuser les avances d’Adam. Ils se grimperaient probablement dessus dès que la porte serait refermée dans mon dos.

— Merci, mais non merci, dis-je.

J’espérai que je ne rougissais pas en réaction aux images qui me venaient à l’esprit. J’essayai de me convaincre que c’était le fait qu’ils s’envoient en l’air qui me rendait mal à l’aise en leur présence plutôt que mes propres réactions involontaires.

Parce que, voyez-vous, peu importe mon embarras, ce sont tous les deux des types très sexy et les voir ensemble ne manque jamais de m’exciter et d’évoquer des fantasmes que je préférerais ne pas m’avouer. C’était bien la dernière chose dont j’avais besoin ce jour-là, dans l’état où étaient mes hormones qui rouspétaient parce que j’étais célibataire depuis ma rupture avec Brian.

Pour une fois, Adam résista à l’envie de me taquiner.

— Il est important que nous discutions. Je te promets que Dominic et moi nous comporterons le mieux du monde.

Je lui adressai un sourire sardonique.

— Avec vous, ça veut dire quoi ? Que vous allez garder vos fringues pendant que vous vous tripoterez ?

Il éclata de rire.

— Nous savons nous contrôler, ma chérie. Je crois que nous pouvons résister à la tentation de te faire rougir pendant une soirée, bien que ce soit très amusant.

Je serrai les dents. Brian et Adam prenaient tous les deux un malin plaisir à me faire rougir. Brian trouve drôle qu’une dure à cuire comme moi, arborant un total de sept boucles d’oreille et un tatouage au bas du dos, rougisse comme une écolière à des sous-entendus sexuels. Adam le fait juste parce qu’il sait que cela m’énerve.

— Pourquoi devrais-je te faire confiance ? demandai-je plutôt.

— Parce que quoi que tu penses de moi, je n’ai jamais rien fait pour trahir ta confiance.

Il n’avait pas dit « contrairement à toi », mais nous savions tous les deux que c’était ce qu’il pensait. C’était vrai, j’avais appelé la police pour accuser Adam de meurtre. Mais là encore, il avait vraiment assassiné quelqu’un : mon ancienne meilleure amie, Val, qui faisait en fait partie du complot visant à me tuer. Avec un peu de temps et de distance émotionnelle, je devais admettre qu’il n’avait pas eu le choix. Mais je n’admettrais jamais cela devant lui.

J’agaçai encore une fois les piétons pressés en nous obligeant à nous arrêter tous les deux. Levant les yeux vers ceux d’Adam, je m’efforçai de savoir si j’étais d’attaque pour avoir affaire à Dom et lui ce soir.

— Si je refuse, est-ce que tu me laisseras partir ou bien vais-je me retrouver menottée ? demandai-je enfin.

Il ne m’adressa pas le sourire vicieux auquel je m’étais attendue.

— Il faudra bien que tu finisses par nous parler, dit-il. Tu le sais tout aussi bien que moi. Mais, non, je ne te traînerai pas de force. Pas ce soir, en tous les cas.

Peut-être que je poussais un peu trop loin, mais je le crus. Et parce que je me croyais libre de choisir, j’acceptai son invitation.

— D’accord, dis-je. Je viens à une seule condition.

Il patientait, un sourcil haussé.

— Tu me laisses savourer la cuisine de Dom en paix. On parlera business après le repas. Marché conclu ?

— Marché conclu, répondit-il en souriant.

 

Pour un employé du gouvernement, Adam est mieux nanti que je peux l’expliquer. Sa maison est immense, d’après les critères du centre-ville, et elle n’est pas mitoyenne. Ce qui est un atout si l’on considère ce que ses voisins pourraient entendre s’ils étaient trop proches.

Le parfum d’ail, de poivrons et d’épices italiennes frappa mes narines dès que je passai la porte et je pris une profonde et approbative inspiration. Je me mis aussitôt à saliver et j’en vins presque à oublier le prix déplaisant de mon droit d’entrée.

Dominic se trouvait dans la cuisine, naturellement. Constatant que la table était mise pour trois, je lançai un regard mauvais à Adam.

— Tu étais sûr que j’allais venir, hein ?

Il sourit.

— Seule une imbécile refuserait de manger un poulet cacciatore cuisiné par Dominic.

Debout devant la cuisinière, Dominic gloussa. Il était modeste par nature, mais je savais combien il appréciait le compliment.

— C’est presque prêt, lança-t-il par-dessus son épaule. Tu sers le vin, Adam ?

— Pas pour moi, merci, dis-je en levant les mains.

Je n’ai jamais pu comprendre comment on pouvait répondre à l’appel des raisins fermentés.

Adam remplit son verre et celui de Dominic puis il tira une chaise pour moi. Je lui adressai un autre regard mauvais : j’étais assez bonne dans ce registre. Il haussa les épaules et s’assit. Quand Dom posa le plat sur la table, je le suivis comme un chien quémandant les miettes du repas.

J’aurais dû me douter qu’Adam ne respecterait pas notre accord et n’attendrait pas la fin du repas pour parler boutique. Les conversations désagréables ne semblaient jamais gâcher son appétit, ce qui n’était pas mon cas.

— Je suppose qu’Andrew ne contredit pas notre histoire ou bien tu serais plus agitée, dit-il.

Je remplis ma bouche de poulet afin de ne pas avoir à répondre tout de suite. Et je pris mon temps pour mâcher, aussi. J’aurais même probablement pu continuer à manger. Il ne pouvait pas me forcer à parler alors que je n’y étais pas prête. Mais peut-être serait-il plus simple de faire passer la discussion avec le poulet cacciatore de Dominic.

— Il sait à quel point il est important qu’il garde la vérité pour lui, dis-je après avoir enfin avalé.

— Bien.

Adam échangea un regard avec Dominic. Un de ces regards qui suggéraient qu’ils savaient quelque chose que je ne savais pas.

— As-tu pu parler avec lui ?

Je plissai les yeux.

— Pourquoi ne vas-tu pas droit au fait et ne me demandes-tu pas ce que tu veux savoir au lieu de tourner autour du pot ?

Il haussa les épaules.

— D’accord. Je me demandais ce qu’il savait de ce que Raphael avait appris pendant toutes ces années passées dans son corps.

Cette pensée ne me fit pas exactement sourire. Cela-ne m’avait même pas effleuré l’esprit de lui poser la question mais, bien sûr, il y avait pas mal de questions que nous pouvions nous poser au sujet de Raphael… des questions auxquelles celui-ci n’avait pas voulu répondre. Il y avait de grandes chances qu’il ait empêché Andy d’apprendre tout ce qu’il ne voulait pas que son hôte sache : un démon peut empêcher son hôte de voir ou d’entendre quand il le veut. Cependant, Raphael avait espéré rester dans le corps d’Andy jusqu’à ce que ce dernier meure, alors peut-être n’avait-il pas été aussi vigilant que ça. Bien entendu, Andy n’avait livré aucune information.

— Je ne sais pas, admis-je. L’ambiance était plutôt pesante et nous étions sous le coup de l’émotion. (Surtout quand mes parents avaient fait leur apparition.) Nous n’avons pas vraiment beaucoup parlé de ce qui s’était passé.

Adam et Dominic échangèrent de nouveau un regard et je dus serrer les dents pour retenir le petit commentaire que j’avais envie de faire. Ça ne valait pas le coup de faire sentir à Adam qu’il me tapait sur les nerfs.

— Il est possible que nous ne soyons pas les seuls à soupçonner qu’Andrew en sait plus qu’il le devrait, dit Adam.

Le poulet délicieux se transforma en une boule de plomb dans mon estomac.

— Tu crois qu’il est en danger ?

Adam haussa les épaules.

— Peut-être. Difficile de savoir. Nous avons toutes les raisons de croire que nous avons nettoyé la cellule que Raphael avait infiltrée. Si c’est le cas, personne ne sait quelle personnalité importante Andrew hébergeait. Et ce que ce VIP voulait garder secret.

Mon estomac se contracta encore.

— Sauf Raphael.

Quand il avait quitté le corps de mon frère, Raphael était retourné au Royaume des démons mais il avait l’intention de trouver un nouvel hôte et de revenir infiltrer une nouvelle cellule de l’armée révolutionnaire de Dougal. Bien que Raphael soit du côté de Lugh, et donc techniquement un gentil, je ne lui faisais pas totalement confiance. Il n’était pas vraiment un type sympa et je doutais que lui et moi partagions le même code moral. Il avait également été très clair : il en savait beaucoup plus que ce qu’il désirait que je sache et, quand Lugh avait refusé de me bloquer, Raphael s’était tu.

Adam acquiesça.

— Exactement. Tu pourrais peut-être demander à Lugh cette nuit ce qu’il pense de l’éventualité que Raphael revienne s’en prendre à Andrew.

Je n’eus pas besoin d’attendre la nuit car aussitôt la douleur me poignarda la tête. Cette sensation déplaisante qu’un pic-à-glace me rentrait dans l’œil avait été – jusque-là – l’unique méthode de communication de Lugh aux moments où j’étais consciente. Avant même que j’aie la chance de grimacer, la douleur avait disparu.

— Je prends ça comme un « oui », marmonnai-je alors qu’Adam m’adressait un regard interrogateur. Lugh peut me donner des migraines quand je suis éveillée, expliquai-je. C’est ce qu’il vient de faire, donc je suppose que cela signifie qu’il pense qu’Andy peut être en danger.

Je fronçai les sourcils en prenant conscience encore une fois à quel point moi, une supposée experte en démons, j’en savais si peu sur eux. Ils sont incroyablement secrets de nature, ce qui est une des raisons pour lesquelles je ne leur ai jamais fait confiance.

Je savais que les démons étaient appelés dans la Plaine des mortels par le biais d’une cérémonie au cours de laquelle l’hôte potentiel prononçait une sorte d’incantation. Je savais également que si on apprenait le Nom véritable d’un démon, on pouvait l’invoquer en particulier. Mais je n’avais aucune idée de la manière dont les démons déterminaient lequel d’entre eux répondait à une invocation générique, en supposant que c’était un peu plus élaboré que de tirer à la courte paille.

— Comment Raphael procéderait pour trouver un nouvel hôte ? demandai-je.

En posant cette question, je compris à quel point, au cours des dernières semaines, je m’étais soigneusement fermée aux réalités de ma nouvelle vie. Il y avait tellement d’interrogations que j’aurais déjà dû exprimer depuis, mais, dans ma quête désespérée du déni, je les avais toutes réprimées.

— Et tu penses qu’il est déjà revenu dans la Plaine des mortels ?

Adam se dandina avec un air gêné en regardant fixement le plateau de la table.

— Je ne peux pas répondre à cette question, dit-il. Pas sans la permission de Lugh.

J’émis un grognement de frustration.

— Si tu veux que je coopère, il va falloir que vous me livriez quelques-uns de vos précieux secrets.

Il croisa mon regard.

— Je ne peux pas. Pas sans la permission de Lugh. Il est mon roi.

Lugh ne me donnant aucune migraine immédiate, je décidai que c’était parce qu’il savait qu’Adam ne me croirait pas si je lui affirmais le contraire. Mais j’allais avoir une flopée de questions à lui poser ce soir… en supposant que je réussisse à m’endormir.

— Peux-tu au moins répondre à ma deuxième question, à savoir si tu crois que Raphael peut déjà être de retour ?

Adam acquiesça.

— C’est possible.

— Alors comment protège-t-on Andrew ?

— Pour ce soir, répondit-il, j’ai fait poster un garde devant sa chambre à l’hôpital. C’est pour cette raison que je me trouvais là-bas. T’y croiser n’était qu’une pure coïncidence.

Il m’adressa un sourire moche qui me fit ricaner.

— Ouais, pour preuve, la table que Dominic avait mise pour trois.

Le sourire moche resta en place.

— Peut-être une pure coïncidence pas aussi inattendue que ça.

— Alors pour ce soir, il a un garde. Et demain ?

— C’est la grande question, répondit Adam. Il ne peut pas retourner dans son appartement et je ne pense pas qu’il sera plus en sécurité en séjournant chez tes parents.

Je soupirai en comprenant où cela nous menait.

— Tu veux qu’il reste chez moi.

Adam haussa les épaules.

— Tu as une chambre d’ami dans ton nouvel appartement, non ?

— Je ne serai pas d’une réelle efficacité comme garde du corps. Pas contre un démon, du moins.

— Tu le serais si tu laissais Lugh prendre le contrôle.

Je frissonnai et je perdis tout à fait l’appétit. Je repoussai mon assiette puis m’éloignai de la table en luttant contre l’envie de fuir à toutes jambes.

J’avais laissé Lugh prendre le contrôle de mon corps quand j’avais été sur le point d’être brûlée vive sur le bûcher mais, bien qu’il ait eu l’amabilité de me laisser reprendre le dessus quand tout avait été fini, je me rappelais encore avec un frisson de panique ces minutes terrifiantes au cours desquelles j’avais été une passagère impuissante dans mon propre corps. Être possédée, être impuissante, cela avait toujours été mon pire cauchemar – je n’avais pas choisi d’exercer le métier d’exorciste par hasard – et, bien que Lugh m’ait sauvé la vie en prenant possession de moi, ce n’était pas une expérience que je comptais réitérer. Jamais.

Sous l’emprise grandissante de la panique, je me mis debout. Je crois que j’aurais pris mes jambes à mon cou si Adam ne m’avait pas saisi le bras.

— Assieds-toi, Morgane, dit-il.

Sa voix était ostensiblement douce. Sa capacité à être doux alors qu’il pouvait être si dur me surprenait toujours. La surprise amoindrit ma panique et je m’installai de nouveau sur ma chaise.

— C’était juste une suggestion, poursuivit-il. Même si tu refuses que Lugh te contrôle, Raphael pourrait hésiter à s’en prendre à ton frère si celui-ci habite chez toi.

Je suppose qu’il y avait du vrai là-dedans. Il se pouvait que Raphael ne comprenne pas que je ne laisse pas volontairement Lugh faire surface. De plus, bien que la relation entre les deux frères soit houleuse, Raphael semblait au moins faire preuve d’un minimum de respect à l’égard de son roi. Il pourrait très bien déduire qu’Andy était sous la protection de Lugh puisqu’il séjournait chez moi.

— Je vais voir si je peux arranger ça, dis-je en me demandant si Andy accepterait d’habiter chez moi.

Nous avions admis sans l’ombre d’un doute que je l’aimais toujours, mais cela ne voulait pas dire que tout allait rouler entre nous.

Les fumets alléchants du dîner amadouèrent mon appétit jusqu’à ce qu’il se manifeste de nouveau et je me remis à manger. Dominic sourit d’un air entendu, ce qui lui valut un petit coup de pied sous la table.

— Ouais, tu es le plus grand chef au monde, dis-je, la bouche pleine. Que ça ne te fasse pas enfler.

Quand Adam gloussa, je pris conscience du double sens de mes propos. Je dus probablement rougir mais, heureusement pour tout le monde, Adam ne releva pas.

Il attendit que j’aie avalé la dernière miette du tiramisu maison de Dominic pour aborder le sujet que je redoutais depuis l’instant où j’avais posé les yeux sur lui. Il eut le temps de prononcer « Alors vas-tu parler à » avant que je l’interrompe.

— Non ! lançai-je. J’ai dit non à Dominic et je te réponds la même chose. Ma mère et moi nous parlons à peine. Il est hors de question que je l’interroge au sujet de ce que tu as pu déterrer.

Son visage s’assombrit.

— Tu sais combien c’est important.

— Je m’en fous, répondis-je avec entêtement. Même si je l’interrogeais, elle ne me dirait rien. Je te le garantis. Et c’est une réponse définitive.

Les joues d’Adam s’embrasèrent de colère, mais Dominic posa une main apaisante sur son bras.

— Laisse, conseilla-t-il. Nous trouverons nos réponses autrement.

Je le regardai d’un air suspicieux. Il était sacrément bien plus gentil et possédait plus de qualités humaines qu’Adam mais je savais d’expérience qu’il pouvait également se comporter en sale petit vicieux. Sa résignation trop rapide me faisait soupçonner qu’il cachait un tour dans sa manche et, dans ce cas, il n’en montrait rien.

Le visage d’Adam, au contraire, exprimait clairement que ça ne lui plaisait pas, mais il abandonna le sujet. Dominic me lança un regard innocent et l’inquiétude noua mon ventre.

Peut-être était-il tout simplement de mon côté. Peut-être n’y avait-il pas de sens caché derrière ses paroles, pas d’arrière-pensée. Le malaise me labourerait les entrailles tant que je me demanderais si ces deux-là préparaient quelque chose dont je ne voulais rien savoir.

Ceci étant, j’aurais certainement dû résister à l’insupportable tentation de ce repas maison gratuit.

Morgane Kingsley, Tome 2
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